Compte-rendu par Vanessa Guignery

 

Lignes de fuite (2003)

sous la direction de

Jean VIVIES

 

VIVIES Jean éd., Lignes de fuite. Littérature de voyage du monde anglophone. Récits de voyage de la littérature anglaise, Aix, Publications de l'Université de Provence, 2003.

Cet ouvrage rassemble treize articles en français, dont six sont issus de communications présentées dans le cadre de l'atelier " Récit de voyage " dirigé par Jean Viviès lors du congrès de la Société des Anglicistes de l'Enseignement Supérieur en 2002. Les articles sont précédés d'une introduction très claire et pertinente de Jean Viviès qui a dirigé le volume, ainsi que d'un court texte de J.M.G. Le Clézio qui nous rappelle l'attrait pour lui et certains écrivains dont Joseph Conrad, de la mer, " l'absolu de l'aventure ". Cet ouvrage est le deuxième numéro de la collection écritures du voyage, faisant suite à un précédent recueil, Lignes d'horizon (2002), portant sur une sélection de récits de voyage de la littérature anglaise. Lignes de fuite élargit par conséquent le spectre littéraire, permettant l'inclusion d'articles consacrés à Mark Twain et Kate Chopin. Jean Viviès nous propose un cheminement chronologique du XVIIe au XXe siècle, qui, du journal " fatras " de John Locke au récit de propagande de Salman Rushdie en passant par le voyage allégorique et spirituel de Bunyan et le réinvestissement poétique du schème du voyage chez les Romantiques (Lord Byron, Dorothy Wordsworth), ne cesse de réaffirmer la plasticité formelle et l'hybridité du récit de voyage. En dépit de l'hétérogénéité des écrivains, des contextes et des textes eux-mêmes, une cohérence naît des échos d'un article à l'autre, révélant les problématiques majeures qui sous-tendent ce genre protéiforme.
Claire Larsonneur et Jean Viviès mettent ainsi en évidence l'aporie à laquelle est confronté l'écrivain voyageur dont la langue est inapte à rendre compte du réel : " ce dont je parle est ce que mon lexique peine à désigner ". De cette impossibilité à dire l'étranger naît une recherche enthousiasmante et créatrice de multiples " lignes de fuite " pour citer Gilles Deleuze. Plusieurs articles, à propos de Locke, Dickens ou Lawrence, se penchent sur la tension entre littérarité et littéralité, dénotation et connotation, description et abstraction, et révèlent par le biais de micro-lectures méticuleuses que la valeur documentaire ne prive pas d'une saveur et d'une énergie littéraires, et inversement que les stratégies littéraires n'excluent pas l'intérêt géographique ou ethnographique. Il faut noter ici la spécificité de l'ouvrage contesté de Salman Rushdie, Le Sourire du Jaguar, dont Madelena Gonzalez nous montre qu'il s'affranchit du référent pour " faire du pays visité une colonie de l'imagination ", récupérer une culture étrangère et l'assimiler à un modèle occidental. Une telle reconfiguration ne saurait s'apparenter à la transfiguration qu'analysent finement Matthew Graves et Isabelle Keller à propos du processus deleuzien de déterritorialisation/reterritorialisation chez Chatwin et Durrell, qui suppose ici une reconstruction de l'espace identitaire. La tension extérieur/intérieur est abordée dans plusieurs articles qui nous rappellent combien le voyage vers l'ailleurs est aussi un retour sur soi (Chopin), une aventure d'exploration intérieure (Chatwin), un cheminement spirituel (Bunyan). L'ouvrage se conclut par une bibliographie sélective sur la littérature de voyage fort utile à laquelle on adjoindra sans hésitation le présent recueil. - Vanessa GUIGNERY (février 2004)

       

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